L’indignité successorale selon le Tribunal fédéral (arrêt 5A_367/2025 du 23 juillet 2025)
L’héritage ne se résume pas à un partage de biens. Il touche à la confiance, à la loyauté et parfois… à la trahison.
Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral rappelle qu’il existe des situations où une personne peut être privée de tout droit à hériter : c’est ce que l’on appelle l’indignité successorale.
Qu’est-ce que l’indignité ?
Selon l’article 540 du Code civil suisse (CC), une personne devient indigne d’hériter si elle a commis certains actes graves contre le défunt ou sa volonté.
Par exemple :
- si elle a attenté à sa vie,
- si elle a usé de menaces ou de tromperies pour influencer son testament,
- si elle a dissimulé ou détruit un testament,
- ou encore si elle a commis d’autres fautes graves directement liées à la succession.
Dans ces cas, la loi considère que cette personne n’est plus digne de recevoir ce que le défunt voulait (ou aurait voulu) lui transmettre.
L’affaire jugée par le Tribunal fédéral
Dans l’affaire du 23 juillet 2025 (5A_367/2025), un héritier avait été accusé d’avoir abusé de sa position de confiance pour influencer une personne âgée dans la rédaction de son testament.
Le tribunal cantonal avait estimé que son comportement ne remplissait pas tous les critères de l’indignité.
L’un des autres héritiers a alors porté l’affaire devant le Tribunal fédéral, demandant que cet homme soit déclaré indigne de succéder.
Le Tribunal fédéral a confirmé la rigueur des conditions : pour que l’indignité soit admise, il ne suffit pas d’un comportement moralement discutable.
Il faut prouver un acte concret, intentionnel, causalement lié à la modification du testament ou à la privation d’un autre héritier.
Ce que dit le Tribunal fédéral
L’arrêt rappelle plusieurs points essentiels :
- Les actes doivent être graves et volontaires.
L’indignité ne s’applique pas à des maladresses, des malentendus ou des tensions familiales. Il faut un acte clairement fautif : manipulation, dissimulation, contrainte, ou destruction d’un document. - Le lien de cause à effet est déterminant.
Il faut démontrer que sans cet acte, le testament ou la disposition n’aurait pas été la même. Autrement dit : l’acte doit avoir influencé la volonté du défunt. - Le pardon efface l’indignité.
Si le défunt, après avoir pris connaissance de la faute, a pardonné expressément ou par des gestes clairs, la personne retrouve sa capacité à hériter. Ce pardon doit toutefois être établi de manière sûre et non simplement supposé. - L’indignité agit automatiquement.
Lorsqu’elle est reconnue, la personne indigne est considérée comme prédécédée. Sa part revient à ceux qui auraient hérité à sa place (enfants, frères et sœurs, etc.).
Elle ne peut rien conserver de la succession, ni comme héritière, ni comme légataire.
Pourquoi cette décision est importante
L’arrêt du 23 juillet 2025 s’inscrit dans une série de décisions récentes où le Tribunal fédéral resserre l’interprétation de l’indignité successorale.
Il s’agit d’éviter que cette notion soit utilisée comme arme dans les conflits familiaux.
Autrement dit : l’indignité ne doit pas servir à punir un comportement jugé “immoral” ou “ingrat”, mais uniquement à sanctionner un acte clairement contraire à la loi et à la volonté du défunt.
Le message du Tribunal est clair :
👉 l’indignité successorale reste une mesure exceptionnelle, réservée aux cas où la loyauté envers le défunt a été gravement violée.
Conséquences pratiques
Pour les héritiers :
- Invoquer l’indignité suppose des preuves solides (documents, témoignages, expertises).
- Le simple sentiment d’injustice ou de manipulation ne suffit pas.
Pour les testateurs :
- Il est possible de prévoir explicitement dans le testament les situations où un héritier pourrait être exclu.
- Il est aussi utile de consigner par écrit toute réconciliation ou pardon, afin d’éviter qu’un conflit posthume ne remette en cause votre volonté.
Pour les praticiens (notaires, avocats, planificateurs patrimoniaux) :
- Cet arrêt renforce l’importance de documenter les processus de décision (entretiens, testaments rédigés avec témoins, notes explicatives).
- En cas de doute sur la capacité de discernement ou l’influence d’un proche, il est préférable de prévoir des évaluations médicales ou attestations notariales.
En résumé
L’indignité successorale est un outil puissant mais rare.
Elle protège la moralité du droit successoral, sans pour autant se transformer en instrument de vengeance entre héritiers.
Avec l’arrêt 5A_367/2025, le Tribunal fédéral réaffirme que seuls les comportements les plus graves et intentionnels justifient une exclusion totale de la succession.