Arrêt 5A_89/2024 du 16 décembre 2024 — une décision qui fait date
Peut-on exclure les biens d’un trust d’une succession suisse ?
Jusqu’à récemment, la réponse n’était pas évidente.
Avec son arrêt du 16 décembre 2024 (5A_89/2024), le Tribunal fédéral apporte une clarification majeure : les biens d’un trust irrévocable et discrétionnaire n’appartiennent plus à la succession du constituant.
Le contexte : un outil étranger dans un cadre suisse
Le trust est un concept issu du droit anglo-saxon.
Une personne (le constituant) transfère des biens à un fiduciaire (trustee), qui les gère pour le compte de bénéficiaires, selon des règles fixées dans l’acte de trust.
Depuis l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye (2007), la Suisse reconnaît les trusts constitués à l’étranger.
Mais leur traitement dans les successions suisses restait incertain : ces biens devaient-ils être considérés comme faisant partie de la succession ?
C’est précisément la question que le Tribunal fédéral a dû trancher.
Les faits en résumé
Un homme avait constitué, de son vivant, un trust irrévocable et discrétionnaire à l’étranger.
Il en était bénéficiaire de son vivant, puis, à son décès, deux de ses enfants devaient devenir bénéficiaires à leur tour.
À son décès, d’autres héritiers ont contesté la situation :
ils soutenaient que les biens placés dans le trust devaient être réintégrés dans la succession, car ils faisaient selon eux partie du patrimoine du défunt.
Les tribunaux cantonaux n’étaient pas d’accord entre eux.
L’affaire est donc montée jusqu’au Tribunal fédéral.
Ce que décide le Tribunal fédéral
1️⃣ Les biens du trust ne font pas partie de la succession
Le Tribunal fédéral est catégorique :
les biens transférés dans un trust irrévocable (donc impossible à modifier ou dissoudre par le constituant) et discrétionnaire (le trustee décide librement des bénéficiaires et du moment des distributions) sortent définitivement du patrimoine du constituant.
Autrement dit, ces biens n’entrent plus dans la masse successorale au moment du décès.
Le constituant avait renoncé à tout pouvoir sur ces avoirs ; ils appartiennent désormais au patrimoine du trust, administré par le trustee.
2️⃣ La désignation des bénéficiaires n’est pas une “libéralité” à rapporter
Le Tribunal clarifie également que le fait d’avoir désigné certains héritiers comme bénéficiaires du trust n’est pas une donation ou une avance d’hoirie au sens du droit suisse.
Il s’agit d’un acte inter vivos, valable du vivant du constituant, et non d’une disposition “pour cause de mort”.
Conséquence pratique : les bénéficiaires du trust ne doivent pas rapporter la valeur des biens du trust dans le partage successoral (art. 626 CC), sauf exception.
3️⃣ Le traitement fiscal ne modifie pas le raisonnement civil
Même si les autorités fiscales peuvent choisir d’imposer les biens du trust comme s’ils faisaient partie de la succession, cela n’a aucune incidence civile.
Sur le plan du droit des successions, le patrimoine du trust reste séparé.
Pourquoi cette décision est importante
Cette décision marque une étape décisive pour la sécurité juridique des planifications successorales internationales impliquant des trusts.
Elle confirme que :
- un trust bien structuré peut protéger des actifs contre des contestations successorales ;
- la distinction entre irrévocabilité et discrétion est essentielle ;
- les héritiers ne peuvent pas, par simple action successorale, “récupérer” les biens transférés dans un trust légitime.
Le Tribunal fédéral trace ainsi une frontière nette entre le patrimoine du constituant et le patrimoine du trust, en consolidant la compatibilité du trust avec l’ordre juridique suisse.
En pratique :
Pour les testateurs / planificateurs
- Documenter soigneusement la création du trust (irrévocabilité, rôle du trustee, absence de contrôle du constituant).
- Prévoir des clauses claires pour éviter toute ambiguïté après le décès.
- Conserver des preuves de la perte effective de maîtrise sur les biens transférés.
Pour les héritiers
- Une contestation n’est possible que si le trust est fictif, frauduleux ou manipulé.
- Les bénéficiaires d’un trust ne sont pas automatiquement avantagés : ils dépendent du pouvoir du trustee.
En résumé
L’arrêt 5A_89/2024 confirme une règle simple mais fondamentale :
“Ce qui est réellement donné au trust, sort définitivement de la succession.”
C’est une décision attendue depuis longtemps, qui renforce la sécurité juridique des successions internationales et clarifie la place des trusts dans le droit suisse.









