Lorsqu’il s’agit de gérer une succession, divers outils juridiques entrent en jeu pour assurer la répartition des biens. Parmi eux, l’usufruit occupe une place spéciale. Cet article vous aidera à comprendre l’utilité de l’usufruit dans le contexte d’une succession en Suisse, comment il fonctionne et ses avantages spécifiques.

Qu’est-ce que l’usufruit ?

L’usufruit est un droit réel qui permet de jouir d’un bien dont on n’est pas propriétaire. En Suisse, ce concept est souvent utilisé pour faciliter les successions tout en offrant certaines garanties aux héritiers.

Le titulaire de l’usufruit, appelé l’usufruitier, a le droit d’usage et de jouissance du bien. Cela signifie qu’il peut utiliser le bien et en percevoir les revenus, par exemple, les loyers si le bien est immobilier. En revanche, il ne peut pas vendre ou hypothéquer le bien puisqu’il n’en détient pas la propriété pleine et entière – cette dernière est détenue par le nu-propriétaire.

L’usufruit d’un compte en banque ou d’actions par exemple, donne droit aux intérêts perçus sur le montant en compte ou aux dividendes dans le cas d’actions. Il n’est par contre pas permis de toucher au capital en banque ou de vendre les actions. S’agissant d’un bien immobilier, l’usufruit permet d’occuper le bien ou encore de le mettre en location en percevant les loyers. Il n’est par contre pas possible de vendre le bien immobilier ou de le mettre en gage. C’est l’usufruitier qui paie les charges et les intérêts en cas d’hypothèque. C’est également l’usufruitier qui est responsable de l’entretien courant du bien.

 

Comment attribuer des biens en usufruit dans le cadre d’une succession ?

  • Par l’attribution d’un legs dit « classique » en cas de respect des réserves héréditaires

Si les biens que le disposant entend laisser en usufruit ne lèsent pas la réserve d’autres héritiers, il est possible d’effectuer des legs d’usufruit. L’art 484 CC prévoit en effet la possibilité d’effectuer des legs, à savoir des libéralités qui ne confèrent pas la qualité d’héritier. Un legs peut être effectué en pleine propriété, c’est-à-dire par exemple en attribuant à une personne désignée un objet déterminé, ou en usufruit, soit en lui attribuant uniquement la jouissance du bien.

Concrètement, cela signifie qu’il est possible d’attribuer à une personne désignée l’usufruit sur un bien, par exemple un compte en banque. Le bénéficiaire de l’usufruit pourra percevoir les intérêts sur le compte sans pour autant avoir le droit de toucher au capital. Au décès de l’usufruitier, le compte reviendra aux héritiers, étant rappelé qu’un legs ne confère pas la qualité d’héritier.

Tant qu’il ne lèse pas la réserve d’autres héritiers, le disposant peut décider librement s’il préfère attribuer un bien à une personne en pleine propriété ou par le biais d’un legs d’usufruit. Un legs d’usufruit lèse les réserves héréditaires lorsque la valeur capitalisée des biens en usufruit excède la quotité disponible (art. 530 CC). Déterminer la valeur de l’usufruit est en pratique assez complexe, dans la mesure où il convient de présumer de la durée du droit. En substance, il faut retenir que plus le légataire (celui qui reçoit l’usufruit) est jeune, plus la valeur capitalisée est élevée.

 

  • Par la règle spéciale permettant de protéger le conjoint survivant

Selon l’art. 473 du Code Civil Suisse, l’un des conjoints peut, par disposition pour cause de mort, laisser au survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs enfants communs. L’alinéa 2 de cette disposition précise qu’« outre cet usufruit, la quotité disponible est de la moitié de la succession ».

Il s’ensuit que le disposant peut, par le biais de cette disposition, attribuer au conjoint survivant l’intégralité de la quotité disponible en pleine propriété mais aussi l’usufruit sur l’autre moitié, correspondant à la part de leurs enfants communs.

Cette disposition constitue une règle spéciale par rapport au legs d’usufruit « classique », car elle permet d’attribuer en usufruit des biens dont la valeur capitalisée excède la quotité disponible et donc de léser la réserve héréditaire des descendants communs.

Cela revient donc à imposer un sacrifice aux descendants communs, qui devront attendre le décès du conjoint survivant ou son remariage avant de pouvoir disposer des biens de la succession.

Grâce à l’usufruit, le disposant peut donc garantir que son conjoint survivant maintienne un certain niveau de vie, tout en assurant que leurs enfants communs recevront, à terme, leur part de la succession.

Pour le conjoint survivant, bénéficier d’un usufruit sur une résidence principale peut s’avérer crucial. Ce droit lui permet en effet de continuer à habiter dans la maison familiale sans en imposer le partage au moment de la succession.

De même, si le patrimoine laissé comprend des biens générant des revenus (comme des locations), ces revenus reviendront à l’usufruitier, garantissant ainsi une source financière stable.

 

Droits et devoirs de l’usufruitier

L’usufruitier doit veiller à l’entretien du bien, assurer les réparations courantes et ne pas endommager le bien. Il peut par ailleurs réaliser des améliorations ou modifications avec l’accord des nus-propriétaires. À la fin de l’usufruit, le bien revient automatiquement aux nus-propriétaires, qui en deviennent alors pleins propriétaires, sans avoir à passer par une nouvelle procédure juridique ou fiscale complexe.

 

Nécessité du testament

Il est important de souligner que l’attribution de biens en usufruit suppose nécessairement une disposition pour cause de mort, soit un testament ou un pacte successoral. Il est donc indispensable de penser à ces questions suffisamment tôt afin d’éviter des situations qui peuvent s’avérer particulièrement pénibles lorsque rien n’a été prévu.